Dans le jardin de mes pensées,
Allongée sur mon rocher
Depuis des lustres, je vois la vie défiler :
Se balader des grincheux, des joyeux, des romantiques,
Des amoureux, des religieux et tant de cyniques
Dans le jardin de mes pensées,
Allongée, sur mon rocher,
Ce fut malheur lorsqu’un ignoble voleur m’a kidnappée.
Puis, pour quelques pièces de monnaie et une dizaine de billets
Telle une esclave, ce gueux a vendu ma beauté à un jardinet.
Délivrée de ma geôle après moultes années,
Quelle joie de retrouver ma place sur mon île enchantée,
Où dans les fragrances suaves des palétuviers,
Fleurissent les nénuphars, nagent les jolis poissons japonais.
Dans le jardin de mes pensées,
Allongée, sur mon rocher
Sous un ciel azuré ou chargé de pluie,
Je visionne le caléidoscope de leur vie.
Je les regarde comme avant,
Dans les allées divinement arborées, les passants.
Il y a des beaux, des laids, des bons et des truands
Qui déambulent seul, en couple ou avec femmes et enfants.
Parfois, j’aperçois des enfants se détacher de leurs parents
Pour venir m’admirer, me scruter curieusement.
Puis face à ma nudité, s’éloigner en rigolant.
Des adultes gronder des garnements excités
Parce qu’ils jetaient des cailloux aux carpes colorées.
D’autres gamins en haillons, des « crève de faim »
Saliver devant la friandise tenue par une autre main
Tandis que le gourmand, fier de son argent,
Passe devant ces miséreux en les narguant.
Des roses à peine écloses, jacasser comme des pies
Tandis que, caché derrière une haie, un garçon timide les épie
Et qu’un père inquiet, avec ses deux filles liées à ses pieds,
Lance des jurons et un regard assassin au petit voyeur.
Un religieux obséquieux, avec djellaba et la barbe longue de la rigueur,
Me contempler avec avidité et longuement.
Puis par crainte que Satan ne lui mette encore plus le diable au corps,
En rougissant, détourner son regard luisant de mon corps, en un temps record.
Dans le jardin de mes pensées,
Allongée sur mon rocher,
J’ai fixé un peintre qui me croquait
Alors qu’un photographe me tirait le portrait
Pour ensuite, en admirant mon cliché, rêver.
Rêver à qui ?
À la femme lascivement alanguie ?
À la femme dévergondée que je ne suis pas ?
Ou à celle qu’il aimerait serrer dans ses bras. ?
Dans le jardin de mes pensées,
Allongée, sur mon rocher,
J’ai entendu une demoiselle pleurer
En contant, à mon ami l’eider, son idylle achevée.
J’ai vu une romantique, un crayon à la main,
Griffonner une poésie qu’elle gardera dans son calepin.
J’ai souris à deux amis qui riaient aux éclats
En engrangeant des souvenirs pour … autrefois !
Avec émotion, j’ai perçu au crépuscule du jour,
Un rossignol chanter à une colombe son amour.
……
Depuis plus d’un siècle écoulé
Qu’elle est allongée sur son rocher
Ce jour, « La baigneuse » du Jardin d’essai,
Est morose car perdue dans les images du passé
Qui, malheureusement, redeviennent actualité.
D’antan,
Elle avait entendu la mort roder.
Puis les salves des fusils cracher,
Les yatagans sabrer, les bombes éclater.
Elle avait vu un grand nombre de mères pleurer.
Et qu’importe leur nationalité,
Puisque le cœur d’une mère chagrinée,
Ressemble à celui d’une autre mère éplorée.
Hier
La baigneuse du Jardin d’essai
Avait écouté le désespoir hurler.
Puis avait vu brandir le drapeau de la liberté,
Et, ce jour,
Perçu le cri de l’espoir assassiné.
Dans le jardin de ses pensées,
Allongée, sur son rocher
La nymphe, malgré son cœur pierre,
Est fort chagrinée en comptant tant de misère,
Horrifiée, de nouveau, par tant de sang versé.
Par la haine qui se déverse, elle est décontenancée.
Amèrement, la statue au cœur dormant
Constate que depuis plus de 2000 ans
Sous la feuillaison des palmiers d’Orient
Comme sous celle des oliviers d’Occident
Ou de tout arbre sous le ciel d’autres continents,
Malgré les prophètes prônant le bon comportement,
L’âme du monde depuis Adam et Eve n’a pas changé.
À part ici ou là, quelques rayons d’humanité,
Tout le reste n’est que barbarie, irrespect, cruauté !
La baigneuse du merveilleux Jardin d’essai
Est consciente qu’un jour, elle subira le même sort
Que La Saharienne, les Naïliyates, La femme Maure.
Funeste destin pour ces statues atrocement vandalisées
Qui font de par le monde, avec la magnifique végétation, la renommée
Du Jardin d’essai d’Alger.
Elle sait, La baigneuse, que pour se venger
De l’étrangère qu’elle est,
De sa culture ancestrale ou de…elle ne sait quoi,
La pioche d’un bourreau, avec rage, la détruira.
Comme le fut la Cité antique de Palmyre .
À cause de cet inculte, de cet illuminé satanique.
À son tour, elle deviendra innocent martyr
Telles les femmes de chair et de sang qu’il ne peut museler
Ou celles de pierre dont il exècre la beauté.
Alors, c’est sous terre, sans aucun regret,
Sans une larme versée pour l’Homme dénaturé,
Que la Baigneuse du Jardin des délices rejoindra,
Le sculpteur Jean-Louis Bégué, celui qui la créa.
Mais sans l’art, sans la musique, sans la tolérance, ce sera nuit noire.
Le monde, comme un château de cartes, s’effondrera.
Dans les abysses des ténèbres, il s’y engloutira
Puis disparaitra ….
Et, ce n’est pas Dieu qui le sauvera !
Alors, comme à la première aube du temps,
La nature retrouvera ses droits d’antan.
Sans Caïn et toute belliqueuse créature humaine ce sera le Paradis,
Celui qui, il y a des millénaires, avait été promis !
© M. de Rodrigue