Ce soir, même si j’ai la visite de Morphée,
Ce bel amant qui, dans ses bras, désire m’enlacer,
Ancrée à mon bureau depuis un certain temps,
Je m’ennuie terriblement.
Comme j’aimerais qu’il me délaisse
Pour, en noircissant le papier, chasser ma détresse.
J’ai une ribambelle de rimes dans la tête
Qui, voletant de-ci de-là comme des alouettes,
Sur ma page blanche ne veulent pas se poser.
Spleen ; ma plume infâme me fait encore des infidélités…
Alors que la Dame de Venise, dans sa robe de velours chatoyant,
Tel un cygne noir glisse doucement,
Ondule sur le lac marine de ma nuit,
En me frôlant de son éventail perlé de pluie.
Pour l’apprivoiser, je lui tends la main.
De l’azur de ses yeux, elle me toise avec dédain.
Lorsque je la prie d’ôter son loup
Pour voir se qui s’y cache dessous :
Sourire de bonheur ?
Cicatrice de malheur ?
Elle déserte notre huis clos et repart vers la lagune illuminée
En invitant mes rimes, dans mon esprit, coincées.
Avec amertume et regrets,
Ne pouvant immortaliser sur mon cahier
L’énigmatique Vénitienne telle une étoile, filant,
Fatiguée, j’aspire à plonger sur mon oreiller, instamment.
Demain, consentira-t-elle à rester près de moi
Pour dévoiler son visage en enlevant son loup de soie ?
L’aurore se lève, rosit lentement les marais.
Me laissant, une fois de plus, seule et fort désolée.
Ma plume, avec la mystérieuse belle dame brune, s’en est allée
Sur le pont du Rialto, sans doute, pour avec les autres masques se balader.
Il est cinq heures, las de m’attendre, le dieu sommeil s’est retiré.
Je vais délaisser mon cahier, bouder mon lit et boire un café.
Puis, comme une somnambule, commencer une autre journée …
Avec ce masque de Venise qui continuera à me hanter.
© M. de Rodrigue