Face à mon humble mas camarguais,
Dans un pré récemment fauché,
Un cirque a planté son chapiteau de bleu étoilé :
Le Cirque de Paris !
Quel nom prétentieux pour des moyens si petits !
Les caravanes évidemment sont immenses,
Leurs occupants doivent y vivre dans l’opulence,
Mais la ménagerie !
La ménagerie quelle déchéance, quelle vilénie !
Les animaux sont maigres, mal entretenus :
Dromadaires déracinés venus des déserts perdus,
Chiens savants, si tristes, si ridiculisés
Qui ne font la joie que des enfants émerveillés.
Deux ou trois singes qui ne veulent plus faire la grimace
Tant ils pataugent dans la misère, la crasse,
Un cheval blanc malingre à la crinière emmêlée
Qui sur la piste offre la gloire à une écuyère en tutu doré.
Et tous, toute la journée, abominablement, enfermés
Dans des camions par le soleil, surchauffés.
Et, loin de ses congénères, le roi des animaux dans une cage
Que l’on trimbale, avec les autres captifs, de villes en villages.
Tous arrachés à leur milieu naturel,
Pour faire de l’argent et oser dire que c’est culturel.
Cette nuit encore, avec la pleine lune, j’ai veillé.
Dans une minuscule geôle incarcéré,
Le roi de la savane a longuement pleuré,
De sa condition inhumaine, il se plaignait.
C’est un lion superbe, immense,
Encore musclé, avec des yeux désespérance,
Sa crinière rousse échevelée,
Encercle d’une auréole sa gueule aux crocs acérés.
A minuit, le fauve s’est mis comme un chat à ronronner,
Puis d’un bond, il s’est levé,
A rugi avec désespoir, férocité,
Et, a commencé à sangloter
Le regard tourné vers son ciel grillagé
Et sur ma joue, une larme est tombée.
Il fixait Lune,
La belle dame brune
Qui infiltrait ses rayons blafards dans sa prison.
La moiteur de la nuit, les arbres se profilant à l’horizon,
Faisaient, certainement, ressurgir des souvenirs de savane africaine
Où, bon prince, il laissait toujours un cuissot d’antilope pour le repas des hyènes.
Ses plaintes, en déchirant des marais le silence,
Appelaient celle qui rongeait ses entrailles, par son absence,
Celle qui surveillait, maternellement, de son œil royal, sa progéniture tumultueuse,
Celle qui s’endormait près de lui : sa femelle fougueuse.
Ce soir,
Comme des centaines de soirs,
Le lion est seul dans une tanière de six mètres carrés.
Humilié, par tant de mépris affligé,
Avec l’étoile filante s’évanouissant dans la nuit bleutée
Tristement, pour rêver d’ailleurs, son esprit s’en est allé.
Ses sanglots, maintenant, se sont taris ; le fauve s’est couché, il est épuisé.
De ma terrasse distante, à vol d’oiseau, d’une vingtaine de mètres, de lui,
Le cœur serré à cet animal je tiens compagnie,
Je le surveille, je le regarde.
Les heures s’écoulent lentement ; je n’y prends garde.
Je lui parle doucement de loin,
Alors, il se lève, tourne sa tête de prestigieux félin.
Interloqué, il cherche la provenance de ce filet de voix,
Lance un grognement pour me dire, » Ombre, je te vois. »
Puis, il se recouche faisant vibrer la tôle, frémir le camion,
S’étend sur le coté, le regard perdu vers une autre constellation.
Inexplicablement, je sais qu’il me comprend :
L’âme de la belle et de la bête sont à l’unisson, en ce moment.
Maintenant, il a l’air quelque peu serein.
Mais ne pouvant pas partir dans le pays des songes retrouver les siens,
En fermant ses beaux yeux d’un jaune éclatant,
Il laisse s’échapper de longs soupirs par instants.
Je devine ses pensées, ses interrogations,
Mes pensées rejoignent les siennes, se posent les mêmes questions :
» Quelle horrible faute ai-je commise,
Pour qu’on me prive ainsi d’amour, de liberté ?
Est-ce donc cela l’Homme et son intelligence si aiguisée ?
Pourquoi agit-il comme le plus féroce des animaux, mais lui, avec tant de gratuite cruauté ? «
D’un bond, le prisonnier se relève,
Secoue sa crinière afin que son angoisse s’achève.
Il sait que courir, dans ce trou à rats il ne le peut pas,
Alors il esquisse à gauche puis à droite trois petits pas :
Décadente danse,
Pour un fier lion avec tant de prestance !
Il s’arrête brusquement,
Regarde dans ma direction tristement.
Il doit déceler que j’ai comme lui,
Pour d’autres raisons, le cœur si gris.
Et, ses déchirantes plaintes, échos à mon désarroi, recommencent.
Je lui parle pour qu’il sache encore ma présence :
» Essaie de dormir, toi qui seras toujours roi
Je suis là, je resterai cette nuit près de toi ! «
Il se calme peu à peu,
Dans la pénombre, il me scrute, malheureux.
Puis, me lance un dernier faible rugissement comme pour acquiescer
Et, retourne dans son minuscule coin de paille se coucher.
Je n’entends plus ses grognements plaintifs :
Ceux qui taillent son cœur, le mien, comme un récif.
L’aube va bientôt arriver,
Colorer les marais de son écharpe rosée.
Le lion pour oublier ses malheurs, s’endort,
L’Humanité cruelle, elle, du sommeil du «juste» dort encore.
J’ai le cœur fané,
Les yeux de pluie gonflés,
J’ai envie de hurler.
Le fauve s’étant, enfin, profondément assoupi,
Je regagne à mon tour mon lit.
Mais je ne puis tomber dans les abysses du sommeil,
La rancœur, la souffrance me tiennent en éveil.
Le soleil qui apparait à l’horizon me voit à mon bureau, amarrée
Pour cette nuit de tristesse immortaliser.
Honni soit l’Homme
Qui chez l’animal bafoue, sans impunité,
Toute dignité !
© M.de Rodrigue